Dans Le Monde des Religions de juillet 2012, un dossier traite de magnétisme. Il présente 3 personnes, 3 parcours avec leurs points communs et leurs différences, et de leurs « trucs ».
L’AURA DES MAGNETISEURS : la foi aide-t-elle à guérir ?
Séraphine Lemaire – publié le 22/06/2012 -le monde des religions, mensuel juillet 2012
Dermatoses, tensions musculaires, traitement de la douleur chez des personnes atteintes de cancer ou accompagnement de malades en fin de vie : autant de cas pour lesquels les Français consultent les guérisseurs traditionnels, en particulier ceux qui pratiquent le magnétisme.
Dans la région d’Avignon, sur le portail de Monsieur Daudet (1), il n’y a pas de nom ni de titre sur la boîte aux lettres, juste une plaque indiquant la « salle d’attente » avec une flèche. à quelques pas, il est précisé sur la porte d’une bâtisse : « Entrez sans frapper. » Une pièce nue, un canapé éreinté, deux chaises et Radio Classique qui s’égosille. De la pièce d’à côté, parvient une bribe de conversation et la porte s’ouvre. Une dame avec l’accent chantonne un « merci, au revoir » et Monsieur Daudet est là, tenue noire impeccable du papé provençal. « Vous pouvez dire magnétiseur, certains disent énergéticien… Ce qui est le plus simple est le plus dur à expliquer, alors je vais vous montrer. » Dans son cabinet, il y a une table de massage et un petit bureau. Il demande un objet familier – ce sera une bague en bois.
Blocages psychiques et physiques
Dans sa main droite, Monsieur Daudet tient son pendule, qui commence à s’agiter au-dessus du bijou. De l’autre, il feuillette un classeur qui regroupe des vues d’ensemble des systèmes nerveux, osseux, sanguin, digestif, respiratoire ; des gros plans d’organes, une « carte » des chakras indiens et les points d’acupuncture chinoise. L’homme établit son diagnostic, pointant les blocages tant physiques que psychiques. 30 % de ses assertions sont non médicalement établies ou d’ordre psychologique : « Vous avez la vésicule biliaire pleine, vous aviez le trac en arrivant, votre aura [lire encadré en p. 44] gigotait dans tous les sens. » Mais 70 % sont correctes : « Vous avez des gamins car vous avez fait beaucoup de radios ou d’échographies l’année dernière, vous avez un problème récurrent aux vertèbres 4, 5 et 6, vous venez de vivre un deuil, vous portez un stérilet… »
L’adresse par bouche-à-oreille
Alors que le pendule s’entête dans sa giration, Monsieur Daudet égrène ces « évidences » sans manifestement chercher d’approbation ni de démenti. La patiente est invitée à se lever. Le thérapeute commence par délier les muscles du dos, avec des pressions ciblées. Ensuite, il travaille les points problématiques sur le corps allongé sur la table. Ses mains sont très chaudes. Enfin, il mesure combien l’aura a été régénérée et en donne les couleurs (variables selon l’état et les personnes). La première fois que Monsieur Daudet a guéri avec ses mains, c’était à l’âge de 9 ans. Un jour, un médecin lui a dit ce que d’autres lui répéteront : « Tu arrives à faire ce que je ne peux pas. » Devenu adulte – et mécanicien –, il reçoit les gens « dans un cagibi au fond du garage, en mettant une planche sur des pneus ». Dans les années 1980, il ouvre son petit cabinet à côté de la maison. Désormais à la retraite, il se présente comme « mécanicien de l’âme » : « On est avant tout psychologue. Ici, on pleure, on rit, on échange. »
Le petit homme de 77 ans ne veut surtout pas de publicité : « Je ne m’en sortirais pas. » Il traite des maux bénins, tels les dermatoses (zona, eczéma, psoriasis, dartres, verrues), mais suit aussi des personnes atteintes de cancers, des malades en fin de vie. « à un moment, j’en étais à trois deuils par semaine, notamment des très jeunes. Ça faisait trop pour moi… » Maintenant, il ne reçoit que le samedi après-midi et le lundi. Comment trouver son numéro de téléphone ? Grâce au bouche-à-oreille, comme pour la grande majorité des magnétiseurs reconnus. Et ce sont parfois des infirmières ou des médecins qui le glissent à l’oreille des patients hospitalisés : « Les docteurs ne peuvent pas officiellement me recommander, comme je ne suis pas déclaré, c’est un exercice illégal de la médecine. Je m’occupe de toute la famille d’un ponte, mais lui ne veut pas venir, car il a peur de croiser ses propres patients dans ma salle d’attente ! »
Les gens qu’il traite vivent dans les alentours d’Avignon (« dont beaucoup de personnel médical », insiste-t-il), mais aussi en région parisienne ou au Luxembourg. « Il y a un couple de Hollandais qui se rend ici deux fois par an. Et un jour, j’ai eu quelqu’un de Tahiti, qui avait entendu parler de moi là-bas et qui était de passage en France. » Quand il a commencé à pratiquer, « les gens arrivaient le soir, pour ne pas être vus, sinon les autres disaient : “Ah, tu vas voir le sorcier…” Maintenant, c’est plus accepté, même s’il y a toujours une certaine discrétion ». Pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer, Monsieur Daudet peut « travailler » à distance, en posant des cristaux sur leurs photos.
Une « énergie naturelle »
Son bureau est cerné d’un nombre impressionnant de visages figés sur papier glacé. Une centaine de femmes, d’enfants, d’hommes, plus ou moins âgés, plus ou moins malades : « Certains vont mieux, d’autres sont en soin. » Qu’il soit exercé à distance ou dans son cabinet, le savoir-faire du magnétiseur est rétribué. « Je ne demande rien, mais les gens sont gênés. Alors je leur propose de donner ce qu’ils veulent [souvent 10 ou 20 euros]. » Monsieur Daudet dit qu’il se sert « de l’énergie, des champs électromagnétiques naturels » pour soulager les gens. « Ça marche car je suis une personne basique, c’est presque animal. Je n’encaisse pas la douleur des autres, je l’enlève. Je n’ai pas de don, ça n’a rien de religieux, ce n’est pas une secte ici. » Monsieur Daudet dénonce le trop-plein de « charlatans » et de « mystiques » dans le milieu du magnétisme. Quand il répète ne pas avoir de don, il veut signifier que son habileté ne lui vient pas de Dieu : « Ceux qui agissent “guidés” [par des esprits, une force supérieure] perdent en puissance, car ils ne sont pas eux, alors que l’énergie vient du praticien. »
Dominique Camus, ethnologue spécialiste de la guérison traditionnelle en France, explique que pour certains guérisseurs, « le magnétisme n’est nullement un don particulier ayant quelque chose à voir avec le magique, mais au contraire une simple prédisposition physiologique ». L’ethnologue rappelle que le terme de « magnétisme » est apparu à la fin du XVIIIe siècle et qu’il s’agissait au départ d’un phénomène urbain et mondain, à l’image du « mesmérisme », la théorie du magnétisme animal fondée par un médecin allemand, Franz-Anton Mesmer (lire encadré ci-dessous). Il n’en serait pas de même pour les « leveurs de maux » et les « panseurs de secrets » pour qui, explique Dominique Camus, « le sacré et le divin sont intimement liés aux pouvoirs de guérison », et ce depuis des millénaires, à l’image des pouvoirs thaumaturgiques attribués au Christ, aux rois de France et à certains saints.
Qui sont les héritiers de ces guérisseurs « originels » ? Traditionnellement, les leveurs de maux (leveurs de feu ou de venin pour les brûlures et les piqûres, « marcous » pour les dermatoses purulentes) proposent une cure rapide, dont les effets peuvent être immédiats. Les panseurs de secrets tiennent leur don d’une transmission, de génération en génération, de formules magiques guérissant différentes maladies. « Toucheurs » et « conjureurs » s’adressent à un public urbain comme rural, jeune ou âgé, tant masculin que féminin, toutes catégories sociales confondues. Selon l’Ifop, en 1992, 38 % de la population disait croire aux pouvoirs des guérisseurs. Et l’ethnologue Dominique Camus précise qu’à cette date, déjà, le chiffre d’affaires des énergéticiens déclarés dépassait celui des médecins généralistes. Aujourd’hui, on assiste à un foisonnement des pratiques et les profils des soignants sont devenus plus composites.
« On va essayer de vous aider »
Éric Louis, 49 ans, vit à La Verpillère, à une vingtaine de kilomètres de Lyon. Il pratique le magnétisme depuis treize ans, mais sait aussi lever le feu. « Dans ma famille, il y avait un grand magnétiseur, très réputé, que les gens venaient voir de toute la France. Moi, la première fois, j’ai soulagé par hasard mon épouse qui souffrait, en la touchant. » Puis il s’exerce sur un cercle de proches et rencontre un premier « collègue » avec qui il partage son expérience – ce qu’il continue à faire régulièrement. Ce croyant considère qu’il est « guidé de là-haut » : « On peut appeler ça des esprits, des âmes, des guides spirituels… J’en ai cinq ou six, dont le padre Pio et une amie magnétiseuse décédée. Mais le regard des gens est difficile, je ne peux pas raconter ça à tout le monde. » Si éric Louis ne se rend pas à la messe, il accomplit « un vrai travail spirituel en amont », notamment pour collecter des prières de guérison. Parmi ses sources, des livres sur Saint-Benoît, l’archange Michael, Jésus.
Les séances ont lieu uniquement le week-end ; la semaine, l’homme est chauffeur routier. Il voudrait se mettre à son compte, en tant qu’énergéticien, « le seul statut reconnu » : « Je suis arrivé au bout de ce que je voulais avec la route, ça n’a rien de valorisant. Je me donne un an pour voir si j’arrive à en vivre. » Car jusque-là, il n’a jamais fait payer ses soins. D’ailleurs, il ne sait pas trop combien il peut demander et espère que ça ne changera pas son rapport aux malades, qui sont en majorité des femmes venant de la région. « Je dis toujours : “On va essayer de vous aider.” Je ne dis pas : “On va vous guérir.” Je ne suis pas Jésus. Je ne cherche pas à faire des adeptes. Quand je suis fatigué, ce n’est pas très efficace. Certaines personnes sont très réceptives, d’autres font écran. Avec les enfants ou les bêtes (2), il n’y a aucune barrière. » éric Louis enlève le feu « derrière les radiothérapies, pour limiter les séquelles de la brûlure ». Ces soins-là lui demandent beaucoup d’énergie, qu’il « recharge » en se rendant sur des lieux propices – « des églises parfois, une forêt magique proche de chez moi ».
Un « geste d’amour pur »
Ce soigneur regrette le mépris du corps médical : « On a un rôle d’accompagnement, notamment pour la gestion de la douleur, même si nous, c’est en plus, pas à la place de la médecine. » Une complémentarité revendiquée de longue date par les guérisseurs, quand 59 % de la population estimait, en 1992, qu’une collaboration avec les médecins serait souhaitable, selon un sondage Ifop. « Il faut beaucoup d’humilité, reprend éric Louis. C’est un investissement personnel parfois difficile vis-à-vis de la vie de famille. En fait, on donne de l’amour. »
« Ce geste d’amour pur », c’est aussi le leitmotiv de Josette, la soixantaine, qui vit dans un village du Limousin. à 18 ans, un guérisseur lui révèle qu’elle a le don. « Je pensais que c’était de la c**********. » à 36 ans, atteinte d’un cancer du sein qui nécessite une double ablation, elle fait un vœu : « Je me suis dit que si je m’en sortais, je travaillerai ce don pour en faire profiter les autres, pour les soigner. » Jusque-là « complètement athée », elle commence à prier et à se rendre à l’église. Guérie, elle débute avec la radiesthésie (usage du pendule), puis « quelqu’un m’a appris la formule pour enlever le feu ». Petit à petit, elle maîtrise le magnétisme et recueille différents « secrets ».
Lorsqu’elle « enlève le mal », elle doit ensuite le rejeter : « Je claque des doigts, je passe mes mains sous l’eau et je vais dans la nature, j’ai “mes” arbres. » Elle peut aussi travailler à distance. Même si « c’est moins rapide et moins efficace », elle a « toujours quelqu’un en chantier ». Le don lui viendrait de son arrière-grand-mère, qui « connaissait les plantes ». Josette précise : « On peut aussi utiliser la magie blanche pour soigner. Mais c’est beaucoup plus codifié que le magnétisme. » à son cou, une médaille de la Vierge, une croix et, comme un clin d’œil, une petite sorcière à califourchon sur son balai.
(1) Le nom a été changé.
(2) Il est sollicité pour traiter les problèmes digestifs et respiratoires des veaux et des vaches.
Source : le monde des religions, http://www.